Influences

ŌMOTO KYO 大本教 (Enseignement de la Grande Origine)

Le mouvement religieux Ōmoto, né à la fin du XIXème siècle, est représentatif d’un ensemble de nouvelles religions japonaises qui développèrent au cours de leur histoire une pensée d’origine millénariste. L’expérience divine des deux fondateurs emprunte à l’univers religieux traditionnel de la mythologie et des croyances populaires. Avant que le mouvement ne subisse, par deux fois, l’oppression du gouvernement, près de deux millions de personnes espérèrent, par « L’Ouverture de la Fleur de Prunier des Trois Mille Mondes », en la venue du paradis sur terre. O Sensei fut de ceux-là.

Un dicton a longtemps circulé parmi les croyants d’Ōmoto selon lequel ce qui peut éventuellement se passer au Japon et dans le monde arrivera d’abord à une moindre échelle à Ōmoto. Un seul exemple pourrait être la destruction quasi-totale des installations et l’emprisonnement des leaders Ōmoto durant la seconde persécution d’Ōmoto en 1935, puis, une décennie plus tard, la destruction que subit le Japon aux derniers jours de la Seconde Guerre Mondiale. À une échelle moins sensationnelle, Ōmoto a, à maintes reprises, été la première à prôner des idées, à démarrer des mouvements, à partir dans de nouvelles directions, et cela, peut-être des années en avance sur leurs temps.

Ōmoto naquit en 1892 lorsqu’une voix intérieure demanda à Nao Deguchi, paysanne illettrée d’une cinquantaine d’années, d’écrire ce que cette voix avait à dire. Le message commença ainsi, « La Grande origine s’épanouira comme les fleurs de prunier à la fin de l’hiver. » En d’autres termes, la création entière progressera vers son Nouvel Âge, mettant fin à son passé et à son présent sinistrement pernicieux. Ōmoto se considérait élue pour apporter cette transformation tandis que Nao d’abord puis Onisaburo conduiraient la progression.

Ōmoto est classée comme une des « nouvelles religions » du fait de l’époque de son apparition. À la fin du XIXème siècle, la marée montante du capitalisme et de l’industrialisation, en modernisant rapidement le Japon, avait privé de ses droits une grande partie de la population rurale. Ces infortunés fermiers se sentirent oubliés par les religions orthodoxes et recherchèrent un débouché spirituel correspondant mieux à leurs besoins. Ainsi, vers la fin du siècle, naquit un grand nombre de nouvelles sectes connues comme « nouvelles religions ».

Ōmoto était l’une d’elles. Pendant près de dix ans Nao Deguchi se débrouilla tant bien que mal seule, guidée principalement par la voie du kami Ushitora-no-Konjin qui parlait à travers son écriture automatique. Ses écrits devinrent les textes sacrés originels d’Ōmoto, appelés « Ofudaseki » se qui signifie « du bout du pinceau. » En guérissant les malades et en faisant de son mieux pour maintenir sa petite congrégation de paysans et de campagnards, Nao pouvait dans le meilleur des cas mettre en place un travail rural limité. Mais dans les écrits, Ushitora no Konjin promettait qu’ « un homme originaire de l’est » viendrait pour rendre claires les déclarations pas toujours intelligibles du kami et aiderait Nao à répandre Ōmoto à travers le monde.

L’homme, bien sûr, était Onisaburo et toutes ces prophéties allaient s’avérer. Il est cependant bon de souligner que Nao, la fondatrice d’Ōmoto, venait d’un milieu d’une opprimante pauvreté, et qu’Onisaburo, le co-fondateur, était garçon de ferme. Leur « nouvelle religion » jaillissait par conséquent du sol et, dans ses vêtements et ses rituels, tirait plus sa source du Shinto, religion ethnique japonaise dont les origines sont perdues dans les brumes des temps immémoriaux, plutôt que, par exemple, du Bouddhisme importé plus tard et plus aristocratique. Ōmoto prendrait néanmoins la forme qu’Onisaburo allait lui donner.

Pour comprendre ce qu’est Ōmoto, nous devons essayer de pénétrer le caractère, les pensées et les espoirs du co-fondateur pour le monde. Par exemple, en matière d’œcuménisme et d’activités inter-religieuses qui aujourd’hui tirent les religions dans une unité internationale, de telles activités datent d’à peine un quart de siècle. Avant cela, les gens appartenaient à une secte religieuse sans désir d’être membre d’un cercle élitiste fermé qui seul était assuré du salut. Résultat, les religions étaient plus une source de division et de dissidence.

Cet esprit partisan semblait avoir échappé à la nature d’Onisaburo. Entre 1925 et 1930, il passa une grande partie de son temps à faire la navette parmi d’innombrables religions, les sollicitant de se joindre à Ōmoto en liens d’amour et de fraternité. Le 22 mai 1925 fut le jour où l’organisation d’Onisaburo, la Fédération Religieuse Mondiale, tint sa cérémonie d’ouverture à Pékin. Des représentants du Confucianisme, de l’Islam, du Bouddhisme lamaïste Tibétain, de Futen, de la chrétienté, du Taoïsme et du Nouveau Salut du Monde y assistaient. Renoncer complètement à une position sectaire étroite et plutôt s’efforcer inexorablement à l’affiliation et à l’unité en coopération avec d’autres religions requéraient un concept primordial pour servir de guide.

Ce concept fit son apparition dans les écrits d’Onisaburo en janvier 1922. À cette époque, le cofondateur était occupé à composer les quatre-vingt-un volumes de ce qui allaient devenir le second texte sacré d’Ōmoto, le Reikai Monogatari ou « Histoires du Monde Spirituel. » Le vingt-troisième chapitre du sixième volume était intitulé Bankyo Dokon ou « Toutes les religions proviennent de la même racine. »

Onisaburo soutenait que toutes les religions provenaient d’un même élan divin, qu’il n’y avait qu’un dieu. Mais cet élan serait tombé dans des milieux culturels extrêmement divers, à des époques plus ou moins éloignées les unes des autres, donnant ainsi naissance à des religions de grands contrastes. Qu’importe combien elles peuvent sembler différentes, en vertu de leur origine commune toutes les religions sont fraternelles et devraient s’honorer et se respecter les unes les autres. En fait, nous devrions avoir de l’estime pour la variété dans le jardin des religions. Qui voudrait que les fleurs soient toutes de la même couleur ?

Nonobstant le zèle et la clarté de vue d’Onisaburo en la matière, trop de choses se passèrent autour de lui à Ōmoto, au Japon et dans le monde. Le Hall d’Immortalité (Choseiden), commencé en 1931, est resté une collection de premières pierres au sommet du Mt Tsuruyama du vivant d’Onisaburo. Le Choseiden devint une réalité en 1992, dernier grand œuvre du troisième leader spirituel d’Ōmoto, Mme Naohi Deguchi.

Laissant de côté pour un instant la révolution œcuménique dans la religion, dirigeons notre attention sur trois autres mouvements, l’un ou l’autre innové ou embrassé par Onisaburo, qui se prolongèrent au-delà de son existence et évoluent encore aujourd’hui. Ce sont l’Aïkido, l’Esperanto et l’Aizenkai ou ULBA Universal Love and Brotherhood Association (Association Fraternité et Amour Universel).

Aikido

L’aïkido est un art martial avec une différence. Le but n’est pas pour l’un ou l’autre des opposants de gagner le combat, mais pour les deux partenaires d’entrer en harmonie avec l’univers. Morihei Ueshiba, fondateur de l’aikido était autant mystique qu’expert en arts martiaux. Il croyait qu’une compréhension profonde des principes ésotériques devait sous-tendre ses techniques martiales. En 1919, il vendit la maison et les terres qu’il possédait avec sa famille en Hokkaido et déménagea à Ayabe pour étudier avec le co-fondateur d’Ōmoto. Vers la fin de ses études avec Onisaburo, Morihei Ueshiba eut un moment de conscience cosmique tandis qu’il marchait dans le jardin. Il écrivit : « À ce moment je reçus l’illumination : la source des arts martiaux est l’amour divin – l’esprit de protection aimante pour tous les êtres. » En 1926, avec la bénédiction d’Onisaburo, Ueshiba déménagea à Tokyo pour établir un mouvement pour répandre ce qu’il avait appris. C’est Onisaburo qui lui donna le nom Aïkido, « aïki » signifiant l’esprit de l’amour divin.

Esperanto

En 1887, le Dr. Ludwik Lejzer Zamenhof annonça la création de l’Esperanto comme langage universel pour aider à transcender l’imbroglio des langues déjà existantes. En 1923, Onisaburo commença des cours d’esperanto à Ōmoto jusqu’à ce que cela devienne la deuxième langue d’Ōmoto, pour majeure partie base linguistique des activités Ōmoto outre-mer. En 1924 Onisaburo écrivit ce poème :
La religion sacrée d’amour et de fraternité
Selon la volonté de Dieu
Se rependra partout
Par l’Esperanto

Jinrui Aizenkai

En 1925, Onisaburo fonde la Jinrui Aizenkai ou ULBA Universal Love and Brotherhood Association (Association Fraternité et Amour Universel). Nous devons considérer l’Aizenkai comme le bras séculier d’Ōmoto, consacré au travail humanitaire qui est Ōmoto-dirigé et Ōmoto-financé. Onisaburo annonça : « aujourd’hui nous organisons une association universelle pour inciter les hommes à s’aimer et à établir la paix éternelle. Après tout, ne sommes nous pas membres de la race humaine, tous frères qui partageons le même cœur ? Cet esprit fraternel représente la plus haute éthique. » Aujourd’hui, l’Aizenkai a presque vingt branches dispersées à travers l’Inde, le Népal, l’Afrique, la Micronésie, le Brésil et partout ailleurs. Il soutient des cliniques de santé gratuites en Inde, des projets d’agriculture biologique au Sri Lanka, un élevage de cochon prospère aux Philippines et d’autres. Pour appartenir à l’Aizenkai les membres n’ont pas besoin d’être pratiquants d’Ōmoto, bien qu’au Japon et au Brésil ce soit habituellement le cas.

Les Arts à Ōmoto

Très tôt dans la relation entre Nao Deguchi et Ushitora no Konjin (la voix qui parlait à travers elle) le kami ordonna à Nao de danser Shimai. Shimai se danse seul au cours d’un drame No. Nao dit à Ushitora no Konjin qu’elle ne savait pas comment danser shimai. Le kami toujours péremptoire lui demanda de danser quand même. Aussi elle se leva et fit quelques pas qu’elle pensait devoir suffire. Ainsi débutèrent les arts à Ōmoto.

Onisaburo fut un de ces génies créatifs dont la portée de l’œuvre est inimaginable. Il écrivit des volumes et des volumes de poèmes. Il dicta quatre-vingt-un volumes de textes sacrés. Il conçut les rituels et écrivit les hymnes et prières formelles pour Ōmoto. Il écrivit des pièces dans lesquelles il joua lui-même. Il fut, au début, le seul rédacteur d’un journal qu’il produisait manuellement. Il ne cessa jamais de faire des discours jusqu’à ce que le gouvernement l’emprisonne lors du second incident Ōmoto. Il enseigna lui-même la calligraphie et est célèbre pour son style. Quelques unes de ses plus fameuses calligraphies n’ont qu’un idéogramme de plusieurs dizaines de centimètres de hauteur, tracé avec une brosse de la taille d’un balai, dont le manche était plus grand que lui. Il sculpta des statues, peignit des lavis, dessina et supervisa sur le terrain la construction de bâtiments à Ayabe et à Kameoka. Même ses nombreuses coiffures reflétaient sa nature inventive. Onisaburo rétablit le Festival de Poésie, un ancien évènement Shinto lors duquel quiconque le souhaite est invité à écrire un poème sur une pancarte prescrite qui est placée avec d’autres sur une estrade aménagée.

Ce ne fut cependant pas avant la mort d’Onisaburo et de sa femme Sumiko que Naohi, fille aînée d’Onisaburo, devint troisième leader spirituel et que les arts prirent tant d’importance à Ōmoto. Naohi était elle-même une excellente artiste comme ses poèmes, journaux et pièces de céramique l’attesteront. Son dévouement pour la cérémonie du thé et son interprétation de drames No sont légendes à Ōmoto. C’était également une excellente épéiste. Pendant la persécution gouvernementale d’Ōmoto après 1938, la plupart des bâtiments et sanctuaires Ōmoto furent dynamités. Il fut de la responsabilité de Naohi de reconstruire, après qu’Ōmoto fut exonérée par le gouvernement en 1945. Sa détermination à faire se rassembler Ōmoto et les arts traditionnels japonais est évidente dans les maisons de thé, les salles d’arts martiaux, les fours à céramique, centres de tissage et stages pratiques de No que l’on peut trouver partout à Ōmoto. Un angle du hall du sanctuaire principal d’Ōmoto à Kameoka est une totale mise en scène No par exemple.

Pour en revenir à Onisaburo Deguchi, à la fin de sa vie il passa ses jours à créer des bols à thé dans des fours à céramique. Avant sa fin, il a cuit plus de 3000 bols. Les couleurs et les dessins de ces bols étaient caractéristiques. Personne n’avait jamais fait ou ne ferait rien de tel. D’abord rejeté par le milieu conservateur de l’art céramique, ils continuèrent d’attirer des experts pour les examiner jusqu’à ce qu’ils forcent le monde de l’art local à les réévaluer et les accepter. Pour leurs couleurs vives ils devinrent connus comme Yowan (bols brillants).

Aujourd’hui ils valent chacun une petite fortune. Il a dû y avoir un pressentiment divin qui conduisit Onisaburo à consacrer autant ses derniers jours et dernières énergies. C’est un quart de siècle après sa mort que Mme Naohi Deguchi organisa autour des yowan une exposition d’art Ōmoto qui allait ébranler les fondations de la religion universelle.

Tout a démarré quand Vadime Elisseeff, directeur du musée Cernuschi à Paris et ami de longue date d’Ōmoto suggéra à Mme Naohi de monter une exposition dans son musée à Paris. Mme Naohi Deguchi et son fils, Kyotaro Deguchi rassemblèrent des articles en céramiques, des lavis, des calligraphies et autres, des mains du leader d’Ōmoto et en 1972 ouvrit une exposition à Paris sous le nom : l’Art d’Onisaburo Deguchi et son école.
Après Paris, l’exposition fut montrée au Musée Victoria et Albert de Londres puis passa en Amérique du Nord. Pendant plus de cinq ans l’Art d’Onisaburo Deguchi et son école tourna en Europe et en Amérique du Nord.

Onisaburo Deguchi a pu être apprécié du fait que nombre de ses plans et projets ont attiré l’attention en leur temps, pour changer le cours que prenait la religion mondiale. Les efforts pour établirent une Fédération Religieuse Mondiale en 1925, bankyo dokon, la signification religieuse des arts, le sanctuaire Choseiden, même les bols brillants ont tous joué leur rôle. Et le Plus Grand Monde, avec sa nouvelle impulsion, a fait un autre pas en avant vers ce jour où l’amour gouvernera les étoiles.

D’après William Gilkey, ancien rédacteur en chef de l’OŌmoto International.